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Johanna Dagorn et Arnaud Allessandrin : « Les villes ont un rôle à jouer face aux discriminations »

ActualitésPublié le 05 juin 2023

Rencontre avec le duo de chercheurs qui étudie l’évolution des LGBTphobies dans les villes. L’enjeu ? Trouver des leviers d’action pour lutter contre les discriminations.

Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin, deux chercheurs à l'Université de Bordeaux spécialistes des discriminations
Johanna Dagorn et Arnaud Alessandrin, deux chercheurs à l'Université de Bordeaux spécialistes des discriminations

Depuis l’adoption du Mariage pour tous en 2013, on pourrait croire que l’homophobie se conjugue au passé. Pourtant, les discriminations continuent en France dans les grandes villes. En 2019, selon le Ministère de l’Intérieur, les forces de police et de gendarmerie recensaient 1870 victimes d’actes homophobes et transphobes, dont 36 % dans les villes. Arnaud Allessandrin et Johanna Dagorn chercheurs à l’Université de Bordeaux étudient la situation de près et accompagnent les collectivités pour faire évoluer les mentalités. En 2023, le duo a publié un ouvrage intitulé Discriminations dans la ville : sexismes, racismes et LGBT phobies dans l'espace public, édité chez Double Ponctuation.

Est-ce que les violences contre les personnes LGBTQIA + ont régressé depuis le mariage pour tous ?

« D’après notre étude réalisée en 2019 auprès de 14 000 personnes, il apparaît malheureusement que l’homophobie stagne. 87 % des personnes LGBT témoignent avoir vécu des discriminations dans la ville au sens large dans les 12 derniers mois (à l’école, sur un trajet, dans les services publics, dans les transports...). Les personnes gays, lesbiennes, trans considèrent donc que l’espace public leur est potentiellement hostile et qu’être visible (tenir la main ou embrasser son partenaire) est potentiellement risqué. Cela produit un vrai impact sur leur quotidien (limitation des sorties, changement des habitudes et des trajets en ville). Injures, violences physiques, menaces, regards insistants... quel que soit le type d’agression, elles peuvent survenir de jour comme de nuit.  Les personnes les plus discriminées sont les personnes trans. »

Le Ministère de l’Intérieur a annoncé une hausse de 28 % des agressions homophobes en 2021 par rapport à 2020, la société est-elle plus homophobe qu’avant ?  

« Au niveau national, les chiffres des agressions homophobes semblent s’envoler depuis 2020, mais il faut tempérer ce sentiment. Premièrement, cette hausse des chiffres s’explique par le fait que les victimes vont davantage porter plainte qu’auparavant, on recense alors mécaniquement plus de cas. Deuxièmement, si l’homophobie semble plus visible, c’est le résultat d’une défiance par rapport à une société qui devient paradoxalement plus inclusive. En 10 ans, le mariage pour tous a permis à 7 400 couples gays ou lesbiens d’officialiser leur union. En parallèle, le sujet de la transidentité apparaît davantage dans les médias. Cette mise en lumière de la communauté LGBT crispe mécaniquement les courants plus réactionnaires qui vont mener plus d’actions coup de poing ou se montrer plus agressifs. Espérons que les mentalités continueront d’évoluer dans le bon sens. »

Les villes ont-elles un rôle à jouer contre les discriminations ?

« Aujourd’hui, les villes ont un rôle majeur à jouer contre l’homophobie et surtout contre le sexisme (qui en est la source). En France, des villes comme Nantes ou Bordeaux suivent le modèle de San Francisco en contribuant à créer un climat inclusif et sécurisant pour les personnes de la communauté LGBT. Cela peut prendre la forme de subventions aux associations LGBT et à la Marche des fiertés, du pavoisement des rues avec des drapeaux arc-en-ciel ou du soutien aux bars et à la culture queer… Même si ça n’empêche malheureusement pas les agressions, cela peut contribuer à diminuer leur impunité. Il serait également intéressant de sensibiliser le plus grand nombre de personnes avec des campagnes d’affichage pédagogiques, qui brisent les clichés, les représentations et les tabous. Ces campagnes seraient également l’occasion de rappeler la loi aux citoyens : les discriminations basées sur l’orientation sexuelle sont punies d’un an d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende. Changer les mentalités c’est comme changer les pratiques, c’est un travail sur le long terme. »

Nantes s’engage contre les discriminations

D’ici 2030, Nantes s’est engagée à devenir une ville non-sexiste. C’est à dire une ville où chacune et chacun puisse vivre sa vie librement et dans l’égalité. C’est pourquoi elle lutte contre les discriminations homophobes et transphobes, et plus largement contre le sexisme, qui en est  l'origine. En plus du soutien apporté à Nosig, le centre LGBTQIA+ (notamment avec la financement de son nouveau local sur l'Ile de Nantes) la Ville agit à 360 degrés : en sensibilisant les agents à la lutte contre toutes formes de discrimination, en luttant contre le harcèlement de rue et en sécurisant les trajets nocturnes. En tant qu’employeur la collectivité s’est également engagée à garantir aux agentes et agents un environnement de travail non discriminant. Enfin, pendant le mois de juin, elle soutient des événements majeurs comme la Marche des fiertés, la Pride aux balcons ou le festival CinéPride, tout en pavoisant les grands axes du centre-ville aux couleurs de l’arc-en-ciel.

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