A l'échelle des villes, que faut-il retenir de la COP26 ?
Yann Robiou du Pont. « C'est complexe, car les villes, ça ne veut pas dire la même chose selon les pays. La question climatique est souvent vue comme une question qui doit être gérée au niveau national, liée avec des engagements nationaux qui ont été revus à la hausse avant la COP.
Mais il y a aussi dans les COP, en dehors des négociations officilelles, des négociations, des partenariats, des alliances de villes, à l'image de Climate Chance, de l'alliance des villes C 40, des alliances de gouvernements locaux qui essaient de discuter de stratégies. Pas nécessairement avec la seule vision de mettre en place un plan national, mais de voir comment arriver aux objectifs globaux, et aussi de mettre en place de nouvelles solutions, d'essayer d'aller au-delà même de la comptabilité carbone nationale, de maîtriser l'empreinte carbone, de penser à d'autre mécanismes de solidarités et de collaboration...
Les résultats ne sont pas forcément directement quantifiables dans les engagements nationaux, mais restent très importants. Cela permet aussi un apprentissage collectif des villes et un partage pour accélérer la mise en œuvre des réductions de gaz à effet de serre. »
Julie Laernoes. « La COP de Paris a été la première où l'on a réellement mis en scène et en pratique le fait que les villes font partie des acteurs non gouvernementaux. Elles ne sont pas des négociatrices en tant que telles, mais dépendent des accords et des engagements des États. L'Europe a compris ce que la France n'a pas compris en matière de transition énergétique et de climat : les villes sont des acteurs majeurs dans la lutte contre le changement climatique. On peut penser que c'est contradictoire, parce que c'est un problème global, les émissions de gaz à effet de serre de Nantes Métropole représentent peu par rapport aux émissions mondiales. Mais toutes les villes ont les mêmes problématiques.
Et surtout c'est dans les villes que ça se passe. Quand on doit rénover un bâtiment, la majorité sont en ville. Vous avez la question de la densité. Plus de 80% de la population mondiale habite dans les villes. Il faut donc raccourcir les distances, relocaliser l'économie et ne pas externaliser nos émissions de gaz à effet de serre. L'Etat français est très loin d'une concrétisation de ses engagements de réductions des émissions de gaz à effet de serre, très loin de la trajectoire promise et encore plus loin de la trajectoire plébiscitée par le GIEC. Par contre, les villes le sont.
On sait tous par exemple qu'il est essentiel d'isoler les logements. Plus que d'investir dans le nucléaire, pour l'autonomie énergétique, il faut commencer par drastiquement réduire nos consommations. Mais pour cela, il faut donner les moyens aux villes. Si on veut atteindre les objectifs, il faut un plan de financement massif, utilisé par les villes. A Nantes Métropole, nous avons travaillé sur l'inventaire des passoires énergétiques, travaillé sur les copropriétés. Et pour que cela fonctionne, il faut s'appuyer sur une connaissance du territoire. Les villes sont des acteurs majeurs, car on a des leviers directs (transports en commun, piétonnisation, pistes cyclables...), mais on a aussi un rôle d'animation, car nous connaissons les acteurs du territoire. Cela fait 20 à 30 ans qu'on agit sur les politiques climatiques. Si la rénovation énergétique fonctionne ici, ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup d'argent, mais parce que tous nos réglements ont été adaptés dans ce but et qu'on a un acteur qui fait de l'animation territoriale sur le sujet depuis 10 ans. C'est pour cela que les villes sont fondamentales. »
Les villes ont aussi un rôle de pédagogie pour faire évoluer les modes de vie ? Un message venant de Nantes est plus entendable par ses habitants qu'un message venant de Paris ou de Bruxelles ?
Julie Laernoes. « Oui et non. Je pense que pour faire évoluer les modes de vie, il faut vraiment que cela soit compréhensible, que ça ne vienne pas du haut - et quand ça vient de la Ville ou de la Métropole, on peut avoir l'impression que c'est le cas. Et il faut donner des alternatives. Si vous dites à des personnes qui habitent au bord d'une départementale, où il n'y a ni piste cyclable ni transports en commun, que la voiture est interdite un jour sur deux, ça n'est pas acceptable, car il n'y a pas d'alternative. Si elle n'est pas pensée en amont, et par le bas, une loi aura une application restreinte. »
Cette COP est perçue comme un échec. Peut-on tout de même avoir un message positif sur la question climatique aujourd'hui pour les habitantes et habitants de la Métropole ?
Julie Laernoes. « Souvent, quand il y a un échec, il y a un sursaut. Je ne l'attends pas de la part de l'Etat français, d'autant que nous sommes dans une période électorale, ce qui est toujours complexe. On a beaucoup parlé, on attend des actes. Après on a vu que quand Trump est sorti de l'accord de Paris, les villes américaines se sont mobilisées pour mettre en place, de manière volontariste, des actions sur le climat. Le changement climatique est là, il va continuer, et on a donc une responsabilité globale, chacun et chacune. Si on n'a plus d'espoir, ça devient compliqué.
Et on a un deuxième défi, qui est d'anticiper les mutations et de protéger les populations. C'est la question de la résilience, de l'adaption de notre système urbain à la hausse des températures. Souvent les mesures pour atténuer notre impact sur le climat et s'adapter sont les mêmes. En isolant des passoires énergétiques, on consommera moins d'énergie en hiver et on rendra les pics de chaleur plus supportables en été. On a envie de continuer de vivre et de vivre bien, donc il faut adapter nos politiques publiques et en créer de nouvelles. On voit déjà l'impact du changement climatique sur la vie quotidienne et notre santé, on voit que ça va s'accentuer. Les solutions, on les a, il ne faut pas attendre une baguette magique technologique pour régler le problème, car ça n'existe pas. »
Yann Robiou du Pont. « On n'a pas toutes les solutions pour arriver au zéro émission en 2050, mais on a déjà les solutions pour en réduire une grande partie. Et les autres solutions, on ne les trouvera que si on applique déjà celles qui sont à notre disposition. Sur la question de l'optimisme, c'est vrai que toutes les COP sont insuffisantes et de fait réduisent un peu plus notre chance d'atteindre l'objectif 1.5°C alors que les émissions continuent d'augmenter. Mais en même temps, les évaluations, les projections de changement climatique baissent doucement et se rapprochent de l'objectif. Il ne faut pas oublier que si on ne fait rien, c'est bien pire. En face, on a une inertie et des lobbies qui tirent la corde dans l'autre sens.
La question, ce n'est pas seulement de rester sur une augmentation de la température d'un degré et demi. Même à cette température, il y aura des changements assez catastrophiques pour de nombreux pays. L'objectif est vraiment de faire le maximum pour limiter le réchauffement climatique. Les questions qui se posent à 1,5°C se poseront aussi aux autres températures, et ce n'est pas juste parce qu'on rate cet objectif qu'il faut passer à autre chose. La question est vraiment de faire le maximum, en ayant en tête qu'une grande partie de l'infrastructure mondiale sera construite ou reconstruite d'ici à 2050, notamment dans les pays en voie de développement. La question n'est donc pas de décider si le monde va changer, mais du changement que l'on veut. Est-ce qu'on le fait de façon durable ou est-ce qu'on construit un monde qu'on va devoir détruire et recommencer? Même ici, une grande partie de Nantes reste à construire d'ici à 2050. Il y a des motifs d'espoirs et c'est à nous de décider de notre futur. »