Votre pièce traite de la fabrication du masculin. Pourquoi ce sujet ?
« La Tendresse est le pendant de ma pièce Désobéir sur la construction du féminin. Les femmes sont sujettes à des injonctions contradictoires, et les hommes aussi. Depuis #MeToo cela bouge pour les femmes, même s'il y a encore beaucoup à faire pour avoir une égalité de faits. Je me suis demandée comment réagissaient les hommes, comment se construire face à cette évolution. J'ai pu observer qu'ils étaient clairs sur le fait qu'ils ne voulaient plus être comme leurs pères et leurs grand-pères, mais qu'ils n'étaient pas encore très au clair sur le modèle qu'ils voulaient incarner, ce sur quoi ils étaient prêts à renoncer.
C'est l'endroit de la contradiction qui m'a beaucoup intéressée. Cette génération de trentenaires qui me disait : "Moi j'aime les femmes fortes, puissantes, mais pas trop quand-même sinon ça peut castrer". Des hommes assez perdus dans le fait de souffrir de cette injonction à la force, à la virilité. La peur de la faiblesse, l'interdiction de pleurer, la difficulté à parler de ses échecs. Le masculin est ultra-conditionné et on en parle peu. »
Quelles sont les injonctions qui s'imposent aux hommes, selon vous ?
« L'homme de 30 ans aujourd'hui doit bien gagner sa vie et être un super papa, avoir tout le temps envie de faire l'amour mais ne jamais imposer son désir, être viril et sensible. C'est la modernité qui nous impose ces triples, quadruples fonctions.
L'injonction à la violence est un énorme sujet et lorsque nous l'avons abordée de façon frontale avec les hommes, cela n'a pas marché, chacun se défendant d'être violent. Nous leur avons alors demandé d'incarner chacun 5 à 10 héros de cinéma qu'ils rêveraient de jouer. Ils sont tous arrivés avec des mafieux, des tueurs, des sauveurs... Mettre en avant cela a mis à jour la contradiction : on valorise la violence, la virilité, c'est une construction culturelle. Finalement, on ne leur laisse pas le choix, on leur demande d'être cela pour "être un homme". C'est un engrenage très primaire. Il y a cette double injonction : c'est bien et c'est pas bien à la fois. »
Quelle forme prend votre spectacle La Tendresse ?
« Pour écrire cette pièce, nous nous sommes beaucoup documentées. Nous avons confronté le texte aux huit interprètes, pour qu'ils puissent s'approprier le sujet, qu'ils puissent faire des croisements avec leur propre histoire, et incarner ces personnages. Cela donne la sensation au public que c'est leur histoire personnelle, cela suscite de l'empathie et permet de mélanger le politique et l'intime.
Dans cette performance, le corps a une place essentielle. La tendresse, c'est je crois le programme des jeunes garçons aujourd'hui. Ils vont de plus en plus vers le fait d'accepter qu'ils n'en ont pas moins que nous, pas moins de douceur, pas plus de courage, pas moins peur. Tout cela n'est que culturel. La liberté pour les femmes passent par du renforcement, c'est un combat. Pour les hommes, je crois qu'il s'agit de déposer les armes, au contraire. »
Être un homme : le festival qui questionne les masculinités
Croisant spectacles, ateliers, conférences, projections, ou encore jeux, ce rendez-vous invite à explorer la notion de masculinité, en célébrant sa pluralité. Il propose à chacun et chacune de s’interroger sur ce sujet par la parole, l'image et l'expérience sensible. En point d'orgue, samedi 4 février, une journée continue à l'Ensa Nantes et à l'école des Beaux-arts, de 14h à 19h30 (gratuit), suivie de la soirée de clôture à Stereolux avec un spectacle et une soirée électro. Être un homme a été imaginé par Le Grand T, avec Stereolux et Nantes Université.
Du 31 janvier au 4 février 2023. Programme complet sur le site du Grand T.