Dans un monde en mutation, les crises successives et l’inflation pèsent lourdement sur le portefeuille des ménages. « Depuis deux ans, la question du pouvoir d’achat est devenue la préoccupation numéro 1 des Français », note Benjamin Brice, docteur en sciences politiques de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). L’Observatoire des inégalités recensait 5,1 millions de personnes en situation de pauvreté, soit 1,4 million de plus qu’il y a 20 ans.
À Nantes, un bilan de la situation a été réalisé en 2022 sur le territoire, à l’occasion des Assises des nouvelles solidarités. On sait aujourd’hui que 19 040 Nantais vivaient au-dessus du seuil de pauvreté et sous la barre des 1 358 € par mois. Parmi les plus fragiles : les familles monoparentales, les travailleurs pauvres, les jeunes, les chômeurs, les personnes en situation de handicap ou les seniors… Les causes sont multiples : perte d’emploi, déménagement, séparation, travail précaire…
Améliorer les conditions de vie
Alors que les salaires ne suivent pas la hausse des prix, remplir son frigo ou chauffer son logement peut devenir un véritable défi. « Pour les classes populaires, boucler les fins de mois est de plus en plus difficile, car les dépenses incompressibles comme le loyer, l’énergie et les déplacements ont augmenté, poursuit Benjamin Brice. De leur côté, les classes moyennes confient une perte de confiance en l’avenir et rencontrent de vraies difficultés pour acheter un logement et se constituer un patrimoine. »
Pour le chercheur en sciences politiques, la situation du pouvoir d’achat est paradoxale : « Héritiers de la société de consommation, nous vivons dans une abondance de biens matériels (smartphones, voitures sophistiquées...) mais les services les plus élémentaires comme la santé et l’éducation se sont dégradés en France. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer en investissant dans ces services essentiels et en améliorant les conditions de vie des Français. »
À son échelle, Nantes a mis en place des solutions pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages, en agissant notamment sur la construction (2 000 logements sociaux) ou encore le prix des déplacements (transports gratuits le week-end). En parallèle, pour les foyers les plus fragiles, elle propose un soutien personnalisé grâce à une large palette d’outils : aides financières, aides au paiement des factures d’énergie, microcrédit, aides a la mutuelle, tarification solidaire de l'eau…
Ce qu'il reste à faire
30 % : c’est la proportion de Français qui ne bénéficient pas des prestations sociales auxquelles ils ont droit. C’est ce qu’on appelle le non-recours. « À Nantes, ce phénomène existe aussi et représente encore un vrai défi, analyse Maxime Boidin, directeur du CCAS. Il peut être dû au manque d’information, à la peur d’être stigmatisé en sollicitant une aide ou encore à la complexité des démarches administratives. C’est pourquoi nous travaillons à faciliter le parcours des usagers en multipliant par exemple les médiateurs et les guichets CCAS dans les quartiers. Mais c’est un travail de précision qu’il faut mener sur plusieurs années. »
Autre difficulté qui complexifie l’action sociale : la succession de crises a fait basculer de nouvelles personnes dans la précarité. Et les solutions à mettre en œuvre nécessitent souvent d’agir sur plusieurs facteurs. Les étudiants et les seniors, par exemple, qui peinent à boucler leurs fins de mois peuvent aussi rencontrer des problèmes de santé mentale. « Les personnes âgées souffrent particulièrement de précarité et d’isolement. C’est pourquoi nous avons créé l'EVAD, l'équipe de veille et accès aux droits, en 2022 », explique Maxime Boidin. L’équipe assure un suivi téléphonique et des visites à domicile, notamment dans les quartiers prioritaires de politique de la ville, favorisant ainsi lien social et accès aux droits (retraites, mutuelles, aides financières).
Cependant, l’isolement touche toutes les tranches d’âge. Aujourd’hui, des personnes de 30-40 ans, vivant seules et sans moyens pour les loisirs, connaissent une forme d’exclusion sociale. Ce phénomène est lié à la baisse du pouvoir d’achat et à l’érosion des solidarités. Pour lutter contre la fracture numérique, une offre d’internet solidaire à 2,90 € par mois a été déployée en 2023 auprès de 1 000 ménages à Port-Boyer. « L’initiative a séduit, rappelle Maxime Boidin, mais elle impliquait des démarches administratives lors de l’activation. Il faut donc travailler à simplifier l’accès et continuer à accompagner cette offre pour penser son extension à d’autres quartiers. Le numérique est aujourd’hui un facteur clé d’intégration ».
En chiffres
250 000
€ de soutien apportés à 5 projets coopératifs favorisant une alimentation saine, durable et solidaire en 2025. Cette enveloppe a déjà permis la création d’une épicerie solidaire au Breil et l’expérimentation d’une caisse commune alimentaire.
20
millions d'euros supplémentaires mobilisés pour développer le logement social, dans le cadre du Plan de relance de la construction lancé en 2023 par la Métropole pour faire face à la crise du logement qui sévit partout en France.
8527
ménages nantais bénéficiaires d’une aide financière du CCAS, tous dispositifs confondus, en 2024.
Que fait la Ville pour accompagner les foyers les plus fragiles ?
Abbassia Hakem, adjointe aux solidarités : « À Nantes, la solidarité est une priorité et, surtout, un projet pour une société solidaire, humaniste et apaisée. Chacune et chacun doit pouvoir se loger, se nourrir, se soigner et s’épanouir dans la dignité. Concrètement, le CCAS accompagne les personnes qui rencontrent une difficulté à un moment de leur vie, grâce à un large éventail d’aides (coups de pouce financiers, mutuelles, microcrédit...). Nous soutenons également les associations (Secours populaire,Croix-Rouge, Restos du cœur…) qui agissent sur le terrain, au plus près des habitants. Au cours de ce mandat, nous avons renforcé notre action, en consacrant notamment 2,35 millions d’euros supplémentaires pour la stratégie nantaise des nouvelles solidarités. Cet effort a permis d’élargir et d’augmenter nos aides, mais aussi de renforcer les équipes et d’améliorer les équipements existants, pour un service public en proximité. »