Grève du 10 septembre : quels impacts pour le service public ?
Il y a 70 ans, la pionnière qui modernisa le Muséum de Nantes
Publié le 08 sept. 2025
Dernière mise à jour 09 sept. 2025
Aujourd’hui centenaire, Jacqueline Baudouin-Bodin fut la première femme à diriger un Muséum d’histoire naturelle en France, de 1954 à 1989. Sous sa direction, l’auguste institution nantaise a bénéficié d’une profonde modernisation.
Une nomination historique
« Être nommée conservatrice d’une telle institution, c’était comme un rêve, à peine croyable. Et je m’en souviens comme si c’était hier. » Malgré ses 100 printemps, Jacqueline Baudoin-Bodin conserve, vivaces, les souvenirs d’une nomination qui a fait date. Le 4 janvier 1954, alors que la France vient d’élire René Coty comme nouveau Président de la République, cette jeune Nantaise de 29 ans prend les rênes d’une vénérable institution fondée en 1810. Une décision historique entérinée en conseil municipal.
C’est alors une première pour une femme – « À l’époque, la chose étonnait », dit-elle pudiquement – malgré l’opposition farouche de certaines figures masculines, dont certaines déclarent alors : « Cette femme ne peut pas être directrice car il faut de l’autorité pour diriger un musée et une femme ne peut pas avoir cette autorité. » Toute la carrière de Jacqueline Baudoin-Bodin prouvera le contraire...
« Une époque invraisemblable »
Née à Nantes en février 1925, Jacqueline Baudouin-Bodin est témoin d’un début de siècle agité. Enfant, elle se revoit ainsi observer, « du haut de son appartement quai de l’Hôpital [actuellement allée de l’Hôtel-Dieu, NDLR] », les comblements de la Loire qui redessinent en profondeur la morphologie de la petite Venise de l’Ouest. Elle se rappelle également, en 1936, des émeutes de l’époque du Front populaire et des charges à cheval de la police, des moments « terrifiants dans les yeux d’une enfant ».
Durant la Seconde Guerre mondiale, Jacqueline Baudouin-Bodin et sa famille se réfugient à la campagne, dans le vignoble, tandis que l’appartement familial est dévasté par les bombardements alliés de septembre 1943.
«La guerre à Nantes, c’était une époque invraisemblable, il n’y avait plus rien, tout était détruit.
»
Jacqueline Baudoin-Bodin
Chaudière à coke
Revenue à Nantes dans le chaos de l’après-guerre, Jacqueline Baudouin-Bodin poursuit, cahin-caha, des études de pharmacie dans les baraquements de bois construits à la hâte pour répondre aux pénuries. C’est là, précisément, que la jeune femme commence à se passionner pour les sciences naturelles. « Je décide alors de suivre des cours à l’Institut des sciences naturelles, se rappelle-t-elle, pour étudier la minéralogie, la mycologie, la botanique, la zoologie… Toutes ces sciences naturelles qui me passionnaient ».
Après ses études, Jacqueline Baudouin-Bodin passe quelques années à enseigner, s’occupe du Bureau universitaire de statistique et du Centre des œuvres en faveur des étudiants. C’est à ce moment-là qu’elle est contactée « de façon complètement inattendue » pour prendre les rênes du Muséum. À son arrivée, les lieux, pareils à une grotte inhospitalière, semblent être restés les mêmes depuis 1875 et l’installation du musée dans ses locaux de la place de la Monnaie. « On a peine à le croire aujourd’hui, mais le musée était éclairé par trois petites lampes, il n’y avait qu’un téléphone et une vieille chaudière à coke [résidus de la combustion de charbon, NDLR] qui ne chauffait rien du tout », explique-t-elle dans un sourire.
Son équipe se résume alors à quatre gardiens qui passent leurs journées à cirer les parquets, un taxidermiste, une secrétaire également en charge de la bibliothèque et une femme de ménage, préposée aux billets. Beaucoup s’étonnent pour autant de l’enthousiasme de la jeune conservatrice. « À l’époque, mes amis me moquaient de moi en me disant : au moins, tu vas être tranquille, il te suffit de veiller sur des morts ! »
Nouvelle muséographie
Sous sa direction, le « temple de la mort » comme l’appelle affectueusement Jacqueline Baudouin-Bodin, prend vie et connaît un nouveau souffle, en devenant un véritable musée. Fini les échantillons de pierres remarquables disposés pêle-mêle sur les étagères ou les spécimens d’animaux alignés les uns devant les autres, la conservatrice entreprend de créer une nouvelle muséographie.
Elle rend attractives et pédagogiques les collections naturalistes avec un éclairage adapté, aère les vitrines, suspend les plus beaux spécimens d’animaux... Elle monte des expositions comme "Le Papillon dans l'art, la science et l'industrie", réalisée en 1956 dans le cadre d'une opération de l’UNESCO. L’événement attire près de 4 000 visiteurs, un record.
«Jusqu'aux années 70, tout ce que nous avons entrepris, nous avons dû le faire sans argent.
»
Jacqueline Baudoin-Bodin
Transition entre deux mondes
Jacqueline Baudouin-Bodin développe l’accès des publics scolaires et des étudiants, tout en introduisant la notion du vivant, avec la création d’un vivarium et d’un aquarium. En parallèle, elle ferraille avec ses tutelles pour obtenir plus de moyens, agrandir le musée au départ de l’École de commerce et de l’Institut du droit. « Jusqu’aux années 70, tout ce que nous avons entrepris, nous avons dû le faire sans argent », se souvient-elle.
Durant ses années à la tête du Muséum, Jacqueline Baudouin-Bodin assure également la transition entre deux mondes : « Celui d’une part des chasseurs-pêcheurs qui nous apportaient beaucoup de spécimens et celui, d’autre part, des naturalistes de plus en plus sensibles à la chute de la biodiversité et aux menaces écologiques qui pesaient et pèsent encore plus fort aujourd’hui sur notre planète. Leur alerte a conduit à faire les choses autrement. »
Un demi-siècle plus tard, l’équipement accueille quelque 200 000 visiteurs annuels et deviendra, après travaux (lire encadré), le deuxième musée d’histoire naturelle du pays, après celui de Paris. Un succès auquel n’est pas étranger Jacqueline Baudouin-Bodin, qui raconte, dans ses mémoires rédigés à 100 ans, les détails de cette vie passée au Muséum. Le 20 septembre prochain, Nantes lui décernera la médaille de la Ville pour l’importance de son action à la tête de cette institution scientifique et son travail acharné pour la démocratisation des sciences naturelles.
À lire : Une femme au muséum, de Jacqueline Baudouin-Bodin, aux éditions Art3. En vente dans les librairies Durance et Coiffard.
Avant de fermer pour travaux, le Muséum souffle ses 150 bougies
C’était il y a 150 ans. Le 19 août 1875, le Muséum d’histoire naturelle, créé en 1810, inaugurait ses nouveaux locaux de la place de la Monnaie. Pour fêter cet anniversaire, le Muséum a concocté un copieux week-end d’animations les 20 et 21 septembre prochains, en parallèle des Journées européennes du patrimoine et du matrimoine.
Au programme de ces deux journées (accessibles aux enfants) : ateliers, concerts, quiz scientifique, découverte ludique des collections, conférences sur la biodiversité…
Fin 2025, le Muséum fermera ses portes, durant trois ans et demi, en raison d’importants travaux de restructuration. Le projet, dessiné par l’agence Moatti & Rivière, métamorphosera l’intérieur de l’équipement, qui doublera alors ses surfaces d’exposition. Objectif ? Mieux accueillir le public et renouveler le positionnement du Muséum (autour de la thématique « Habiter la terre demain »), afin de mieux coller aux enjeux environnementaux de notre temps.