[Notre histoire] Decré, un grand magasin nantais

Publié le 17 déc. 2025

Dernière mise à jour 17 déc. 2025

En décembre, pour leur shopping de Noël, des milliers de Nantaises et de Nantais arpentent les rayons des Galeries Lafayette. Un grand magasin que l’on continue à nommer familièrement « Decré », du nom de la famille fondatrice de cette institution commerciale.

Un air d'Au bonheur des dames

  • © DR

1867. Jules-César Decré, employé d’un bazar, ouvre boutique au cœur de Nantes : c’est le début d’une épopée commerciale et familiale inédite. Originaire de Mayenne, il fonde son magasin à l’angle de la Basse-Grande-Rue (depuis rue de la Marne) et de la rue du Moulin, face à l’actuel magasin. En 1880, le succès est au rendez-vous et marqué par le transfert dans un local commercial plus grand au 6 de la Basse-Grande-Rue.  

En 1907, le bazar Decré devient Grand Magasin, et dès lors l’enseigne majeure du commerce à Nantes. On livre à domicile, un salon de thé est ouvert, un ascenseur électrique installé. Les vitrines mettent en scène les produits déployés dans les rayons. Les élégantes Nantaises s’y pressent : il flotte comme un air d’Au bonheur des dames, le roman de Zola. Le premier conflit mondial entrave le développement du grand magasin. Mais la mitraille épargne les frères Decré mobilisés sous les drapeaux. 

1930. La création à Paris de la Société d’achats Decré – qui deviendra plus tard le Groupement d’achats des grands magasins indépendants (le GAGMI), une centrale chargée de négocier prix et quantité auprès des fournisseurs – et de Frigécrème (en 1934), fabricant de glaces, illustre l’ambition qui anime les Decré.

Un bâtiment révolutionnaire victime des bombardements

  • Decré détruit par les bombardements de septembre 1943
    Decré est détruit lors des bombardements de septembre 1943. © Archives de Nantes

L’inauguration en octobre 1931 du nouvel établissement commercial l’atteste également. Totalement révolutionnaire, il marque durablement le paysage du centre-ville de Nantes. Œuvre de l’architecte Henri Sauvage, remarqué pour son travail avec « La Samaritaine » à Paris, il est construit en cent jours ouvrés, grâce à l’utilisation d’éléments préfabriqués. Alliant sur sept étages structures métalliques et parements de verre, c’est un geste architectural qui marque son époque en France et en Europe. 

Malheureusement, le grand magasin est entièrement détruit le 23 septembre 1943 par les bombardements alliés qui accablent Nantes. L’image irréelle de cet enchevêtrement de poutrelles d’acier et de gravats marque les esprits. Il faudra attendre 1949 pour que soit inauguré un nouveau magasin selon les plans de l’architecte Friésé, qui avait secondé Henri Sauvage. 

De Decré aux Galeries Lafayette

  • La rue de la Marne en 2020, durant le confinement lié à la pandémie de Covid 19. © Valéry Joncheray

La famille Decré participe également à la modernisation de la grande distribution française qui accompagne les bouleversements des modes de vie et de consommation des Trente Glorieuses. Ainsi, les premiers hypers naissent dans le giron du GAGMI. Aux côté des Decré, Marcel Fournier, fondateur de Carrefour, la famille Guichard (Casino) ou la famille Mulliez (Auchan) en font partie. En 1967, année du centenaire de Decré à Nantes, la famille Decré ouvre un hypermarché qui prend le nom de Record, au pied du Sillon de Bretagne à Saint-Herblain. 

Il a une surface de 4 600 m², soit le quart de celle que s’attribueront les futurs hypermarchés. « Mais notre histoire, c’est le grand magasin. Nous voulions le protéger », témoignait Jean-Philippe Decré*, décédé en 2018. Cette stratégie va provoquer un lent déclin. L’implantation des grandes enseignes qui se développe à Nantes et dans son agglomération accentue la pression sur Decré. «Tout en répondant au développement de l’urbanisation en périphérie, nous ne voulions pas déséquilibrer le commerce de centre-ville, c’est pourquoi nous avions volontairement limité la surface de l’hypermarché Record à moins de 5 000 m². Nous avions en effet été marqués par la désertification des centres des villes américaines ».

Les Nouvelles Galeries acquièrent progressivement l’affaire familiale Decré à partir de 1979. Elles sont à leur tour absorbées par les Galeries Lafayette qui rénovent le magasin en 1998, puis en 2010 et 2011. Sans en oublier la mémoire puisque le nom « Decré » est accolé à l’enseigne qui donne son nom à tout un quartier. Perpétuant ainsi une histoire nantaise.   

Sources : 
   • Jean-Philippe Decré, Decré (éd. CMD) 
   • patrimonia.nantes.fr
 

L'info en +

Une terrasse sur la ville

En 1947, lorsqu’il choisit de couvrir son grand magasin à l’aide d’une toiture terrasse, Émile Decré mesure parfaitement l’importance et la portée symbolique de cette décision. Sur trois étages, l’enseigne nantaise accueille sa clientèle avec une mezzanine, une terrasse, un restaurant et même une piste d’atterrissage pour hélicoptère ! 

« La présence de l’eau, de la végétation, les cris d’enfants qui courent, les couleurs vives des parasols, les odeurs de confiserie, la musique du manège, rien ne rappelle l’agitation du centre-ville une dizaine de mètres plus bas. Sur cette terrasse règne désormais une ambiance de « jour de fête » qui rappelle sensiblement les scènes du film que venait de réaliser Jacques Tati », décrit Éric Monin dans son article Jour de fête aux magasins Decré. Univers ludiques et logiques commerciales dans un grand magasin nantais (1950-1970).  

Elle a été fermée au public au début des années 1990.

Source : Divertissements et loisirs dans les sociétés urbaines à l’époque moderne et contemporaine, Robert Beck, Anna Madœuf (Presses universitaires François-Rabelais).