Que se passera-t-il le 1er janvier 2100, à 17h précises ? C’est le moment où sera rouvert le Grenier du siècle à Nantes. Depuis les douze coups de minuit du 31 décembre 1999, quand a été scellé pour les cent prochaines années cet espace aménagé au Lieu Unique, c'est donc un quart du chemin (temporel) qui a été parcouru...
Remontons le temps et revenons quelques mois avant ce fameux passage à l’an 2000. Jean Blaise – qui a réveillé la ville avec ses Allumées puis le festival Fin de Siècle – a l’idée de collecter auprès des Nantaises et des Nantais des objets de leur vie quotidienne, ou qui simplement leur sont chers. Puis de les entreposer dans une sorte de capsule spatio-temporelle. « On était à la fin d’une époque, de ce siècle de la modernité qui a vu tant de grands changements, et c’était assez fascinant, se rappelle-t-il. Mais il s’agissait aussi de se projeter : on fermait le Grenier à 23h59 et à minuit une, on ouvrait le Lieu Unique, dans la friche de cette usine qui avait tant marqué la ville ».
« Une juxtaposition de vies »
Le public nantais répond favorablement. Entre le 1er octobre et le 31 décembre, l’équipe de la toute nouvelle scène nationale se voit confier 11 855 objets. Un bric-à-brac XXL : livres, photos, téléphone portable, patins à glace, maillot de foot, et jusqu’à la recette originale du Petit LU, déposée par le petit-fils de son créateur. « On a vu des gens pas nécessairement intéressés par la scène nationale, la culture, mais qui sont venus déposer un symbole de leur vie », poursuit Jean Blaise.
Répertoriés, accompagnés d’une note d’intention du donateur, dont le nom est précisé sur un registre manuscrit, les objets collectés ont été placés dans une boîte ou un fût, avant de rejoindre une des niches aménagées au Lieu Unique. C’est que le concept a aussi la forme d’un pari architectural et artistique : le Grenier du siècle tient en réalité dans une double paroi verticale aménagée sur la façade arrière du bâtiment, formant un immense mur translucide. Conçu par l’artiste plasticien Patrick Raynaud, il s’intègre au travail de Patrick Bouchain, architecte chargé de la réhabilitation de l’ancienne biscuiterie LU.
Le Grenier du siècle fait l’objet d’un vote tout à fait officiel lors du conseil municipal de Nantes des 14 et 15 décembre 2000, où la collectivité s’engage à rouvrir le Grenier du siècle le 1er janvier 2100. Comme le rappelle une plaque témoignant de l’opération apposée rue de la Biscuiterie, les descendants des donateurs et donatrices « prendront alors connaissance de l’objet déposé ainsi que du message qui l’accompagne. Mais tous ces témoignages du siècle passé resteront propriété de la Ville de Nantes ».
« On a dans ces boîtes des secrets, des lettres d’amour, des intrigues, des aventures, des vies extraordinaires qu’on ne soupçonne pas, sourit Jean Blaise, qui quitte aujourd’hui ses fonctions de directeur général du Voyage à Nantes. Le Grenier du siècle est une sorte d’immeuble où des familles, dans un même espace, mènent des vies différentes, c’est une juxtaposition de vies ». C’est ce que symbolise l’objet qu’il a lui-même déposé au Grenier : « Un exemplaire de La vie mode d’emploi de Benjamin Pérec ».
« Un geste personnel et professionnel »
Charles Caro, habitant du quartier Carcouët et l’un des donateurs du Grenier du siècle : « Je travaillais à l’époque à la CRAM, la caisse régionale de l’assurance-maladie devenue depuis la Carsat. Nous étions dans la perspective du changement de millénaire, et j’espérais bien que la Sécu soit toujours là 100 ans plus tard ! Je suis allé déposer trois objets au Grenier du siècle : un Code de la Sécurité sociale Dalloz, pour témoigner de l’architecture institutionnelle du moment, le dernier rapport d’activité de la Cram et un autre document significatif de son fonctionnement. Je n’ai pas spécialement parlé de ce don à mon entourage, à l’époque. C’était un geste personnel et professionnel, sur un sujet grave et sérieux : la Sécurité sociale est une cathédrale des temps modernes ! »