Chaussés de grandes cuissardes qui permettent de s’immerger en restant au sec, Catherine Lamotte et Jean-François Brillanceau se sont donnés rendez-vous ce matin là sous le petit pont de la route de Paris qui enjambe le ruisseau du Gobert, à Mauves-sur-Loire. Tous deux travaillent pour Nantes Métropole : Catherine au service des ouvrages d’art, Jean-François au service recherche et biodiversité de la direction Nature et jardins. Depuis 2022, leurs équipes collaborent pour protéger la petite faune. Sous le pont du Gobert, une passerelle de 50 cm de large a été spécialement aménagée pour les mammifères semi-aquatiques, comme la loutre d’Europe.
« Ce n’est pas une bonne nageuse »
« Contrairement à sa cousine la loutre de mer, ce n’est pas une bonne nageuse. Elle préfère franchir les obstacles les pieds au sec, explique Catherine Lamotte. L’accélération des courants et l’absence de berge sous les ponts l’obligent à remonter sur la route, où elle risque de se faire écraser. » Sur la RD723, il y a peu de chance qu’elle s’en sorte : 100 000 véhicules passent ici chaque jour. Les collisions avec les voitures sont l’une des principales causes de mortalité de ce petit animal qui a frôlé la disparition au cours du 20e siècle. Chassée pour sa fourrure ou parce qu’elle avait la réputation de nuire aux poissons, la loutre était en voie d’extinction en France à la fin des années 1980. Elle a repris lentement du poil de la bête après son classement sur la liste des espèces protégées.
« Il ne subsistait plus que quelques noyaux de population le long de la façade atlantique, en Bretagne et dans le Massif Central », rappelle Clovis Gaudichon, chargé de missions études et conservation au Groupe mammalogique breton (GMB), qui conseille Nantes Métropole dans ses actions de reconquête. À partir de ses derniers bastions, elle a repeuplé toute la moitié sud et ouest de la France, mais il faut rester vigilant car l’espèce reste vulnérable. » Son équilibre naturel est fragile car ses capacités reproductrices sont limitées – la femelle met au monde en moyenne deux petits - et son taux de mortalité élevé. Dans la nature, une loutre vit de 4 à 5 ans, rarement plus de 10 ans. En lui évitant une mort précoce par collision, « ce type de passerelles participe à sa recolonisation des cours d’eau », assure Jean-François Brillanceau. Et elle n’est pas la seule à en profiter. « La loutre est une espèce parapluie. En agissant pour elle, on agit aussi pour de nombreuses autres : la martre, la belette, la fouine par exemple, ou encore des batraciens. »
7 passerelles pour éviter les collisions
Entre 2021 et 2023, le Groupe mammalogique breton a expertisé 350 ouvrages de la Métropole pour les classer selon leur niveau de dangerosité et leur perméabilité pour les mammifères semi-aquatiques. Avec le soutien financier de l’Agence de l’eau et du Fond vert, un programme d’aménagement sur 4 ans a été engagé sur les sites prioritaires, en collaboration avec les mairies et le Département. En 2023, dans le cadre de la politique de reconquête de la biodiversité de Nantes Métropole, 7 passerelles à loutres ont été créées à Mauves-sur-Loire, Indre, Thouaré-sur-Loire et Carquefou. Cet été, des travaux sont prévus sur un pont du bourg d’Orvault, et un autre le long du Charbonneau. « L’ambition est de traiter 6 ouvrages chaque année, précise Jean-François Brillanceau. La loutre se déplace beaucoup, elle évolue sur un territoire de 10 à 30 km de cours d’eau pour chasser ses proies et se reproduire. Nous travaillons à désenclaver le bassin versant pour créer de vraies continuités écologiques et agrandir son territoire de vie. »
Des pièges photos pour la repérer
Un piège photographique a été positionné à la sortie du pont de la route de Paris pour surveiller son apparition. Fin mai, après deux relevés, l’appareil n’avait pas encore capté sa bouille sympathique. La loutre - animal nocturne réputé pour sa discrétion - ne se laisse pas facilement repérer. Son retour dans de nombreuses zones humides a été authentifié par un minutieux travail d’observation mené depuis trois décennies par le réseau de naturalistes du Groupe mammalogique breton. « On la détecte grâce aux traces qu’elle laisse : empreintes, crottes (appelées épreintes), explique Clovis Gaudichon. C’est la récurrence de ces indices qui permet d’attester de sa présence. À l’exception de la Chézine, on la retrouve sur l’ensemble des cours d’eau de Nantes Métropole, jusque dans le centre-ville de Nantes ! » Les passerelles à petite faune devraient favoriser son ancrage. Selon les observations du GMB, des aménagements similaires réalisés depuis 10 ans en Brière sont très utilisés par les animaux, et pas seulement la loutre !
Des cavités pour préserver les chauve-souris
Les mammifères semi-aquatiques ne sont pas les seuls concernés par ce programme. Il vise aussi à préserver l’habitat des chauve-souris, précieuses pour notre environnement. « Les chiroptères gîtent dans les trous de la voûte des ponts pour hiberner ou se reproduire, explique Catherine Lamotte, technicienne au service des ouvrages d’art de Nantes Métropole. Auparavant, quand on les restaurait, on bouchait ces cavités. Désormais, on veille à les maintenir. » Le pont de la route de Paris, par exemple, est un site de « swarming » essentiel à protéger pour la survie de cette espèce sensible, souligne-t-elle : « En septembre, à la nuit tombée, elles sortent de leurs gîtes et se regroupent ici en grand nombre pour s’accoupler. »
7 aires protégées pour la Noctule commune
Le saviez-vous ? Depuis le mois de juin, six grands espaces verts à Nantes et à Rezé sont protégés par un « arrêté de biotope », qui interdit notamment d’y couper les arbres sans expertise, d’installer de nouveaux éclairages et antennes relais, ou encore de pratiquer certaines activités comme l’accrobranche. Cette mesure forte concerne les parcs de Procé, de la Chantrerie, du Grand-Blottereau, le Petit-Port, l’Aubinière et la Châtaigneraie, ainsi que le pont de la Vendée. Elle a été prise pour préserver les gîtes de la Noctule commune, une chauve-souris plus si courante que cela : en 15 ans, sa population a chuté de 88% en France, et Nantes reste un refuge pour l’espèce.