Jean Viard : « La nature a pris la main sur l’Histoire »

Publié le 01 sept. 2025

Dernière mise à jour 01 sept. 2025

Jeudi 11 septembre, le sociologue donne une conférence à Nantes autour du thème « L’individu écologique : naissance d’une civilisation ». Un rendez-vous organisé dans le cadre d'un rendez-vous incontournable des architectes paysagistes du monde entier : le congrès de l’Ifla.

  • Portrait du sociologue Jean Viard.
    Jean Viard, sociologue, est l’invité de la 61e édition du congrès mondial de la fédération internationale des architectes paysagistes, qui se tient à Nantes du 10 au 12 septembre 2025. © Alexandre Dupeyron

Dans votre livre « L’individu écologique : naissance d’une civilisation », vous dressez le constat d’une double rupture ?

« Nous sommes confrontés à deux ruptures anthropologiques gigantesques. D’une part, la nature a pris la main sur l’Histoire. Le sauvetage de la biodiversité, l’adaptation à un climat devenu incontrôlable et la diminution de notre production de CO2 s’imposent comme des enjeux vitaux pour l’espèce humaine. Les sociétés évoluent à un rythme que l’homme ne décide pas. Parallèlement, nous vivons la fin du patriarcat. On est d’abord un individu, avant d’être caractérisé par un genre. Et le travail ne préside plus tout le reste. Ces deux ruptures se télescopent et génèrent une forme d’insécurité. Laquelle engendre une contre-vague pour nier ces deux réalités et les empêcher de se développer. Or, si vivre ces ruptures est très douloureux, elles seront assimilées d’ici deux générations. » 

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Le sauvetage de la biodiversité, l’adaptation à un climat devenu incontrôlable et la diminution de notre production de CO2 s’imposent comme des enjeux vitaux pour l’espèce humaine. 

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Jean Viard

Que devient le rôle de la politique ?

« La politique ne sait pas où nous diriger, elle essaie seulement de rattraper la crise. On est très loin d’entraîner les opinions publiques. Notre société est en rupture totale de cadre politique. Jusque-là, tous les courants étaient d’accord sur la question du progrès – mais pas sur sa répartition. Cette idéologie, héritée de la révolution industrielle, était un mantra commun. Aujourd’hui, l’opposition capital/travail n’est plus d’actualité, l’enjeu n’est plus là. C’était le conflit de la société du progrès. Il n’y a plus de conflits dans les entreprises. L’opposition droite-gauche ne tient plus. » 

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Il nous faut penser l’émergence d’une nouvelle civilisation : celle de l’individu écologique, porteur d’un rapport renouvelé au masculin, au féminin, au vivant et à une planète profondément transformée.

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Jean Viard

Que préconisez-vous pour prendre ce virage ?

« La société est constituée d’archipels d’individus entremêlés. Le peuple devenu foule est tenté par les radicalités pour se rassembler. Le populisme exclut les très riches et les très pauvres. La population se rassemble contre les assistés et les très riches. Les populistes réunissent 50 % de la population. Ils ne remportent pas la majorité mais les autres sont incapables de se dire qu’il faut inventer un autre chemin. Il nous faut penser l’émergence d’une nouvelle civilisation : celle de l’individu écologique, porteur d’un rapport renouvelé au masculin, au féminin, au vivant et à une planète profondément transformée. 

En prenant en compte les aspirations des gens. Dans les milieux populaires en particulier, elles tiennent en trois mots : métier, famille, maison. Un métier, pas un emploi ; une famille stable, alors que rien n’est sûr ; une maison, pas un appartement. Le discours dominant dit que « la voiture, c’est nul, le pavillon, c’est nul ». On donne aux gens l’impression de les rejeter dans ce qu’ils aiment. Comment s’armer en tant qu’individus dans le rapport à la nature, sans désir populaire derrière ? » 

On lutte pourtant contre l’étalement urbain…

« Moi, je suis pour l’étalement urbain. On ne manque pas de place. 25 % du sol, en France, est consacré aux vaches. Alors qu’on mange de moins en moins de viande. Et les gens ne veulent pas habiter en hauteur. C’est confortable lorsqu’on peut s’offrir un appartement en centre-ville et une maison au Touquet. Car les élites sociales ont deux logements. Mais on empêche les gens d’acheter une maison pour leur retraite, alors que, ce qu’ils veulent, c’est un lieu à eux, avec un jardin intime, du « dehors dedans ». Il faut sortir des dogmes, partir à l’écoute des populations. Et investir sans compter pour faire des pavillons écologiques. Pourquoi ne pas couper des terrains en deux pour y ajouter une maison ? »

Le monde du paysage a rendez-vous à Nantes

La conférence de Jean Viard est ouverte au public, jeudi 11 septembre à 18h dans le grand auditorium de la Cité des congrès (sur réservation). Le sociologue est l’invité de la 61e édition du congrès mondial de l’Ifla (Fédération internationale des architectes paysagistes). Coorganisé par la Fédération française du paysage, l’événement réunit, du mercredi 10 au vendredi 12 septembre, plus d’un millier de professionnels, chercheurs, étudiants et acteurs de l’aménagement paysager venus du monde entier. 

Le thème de cette édition, « Guiding Landscapes », met en lumière le rôle essentiel de l’aménagement paysager face aux défis climatiques en s’inspirant des réalisations de Nantes, reconnue comme un exemple de ville durable et inclusive. Au programme : conférences inspirantes, rencontres et 11 parcours de visites conçus en partenariat avec les aménageurs, les paysagistes concepteurs et les équipes de la direction Nature & jardins de Nantes Métropole. L’occasion pour les congressistes venus du monde entier de découvrir les innovations urbaines nantaises, du quartier du Grand Bellevue à la caserne Mellinet, en passant par le Jardin extraordinaire, l’Île de Nantes et plus encore !