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Le pilote de Loire se prépare à une manœuvre délicate
Publié le 17 nov. 2025
Dernière mise à jour 17 nov. 2025
Alors que la barge transportant le futur pont Anne-de-Bretagne est en pleine traversée maritime, Étienne Doux se prépare à prendre la main sur le pilotage de ce gigantesque convoi. Cet expert de l’estuaire guidera la remontée fluviale du tablier, puis sa délicate pose.
Dans ses bureaux vitrés face à la Loire, Étienne Doux peut suivre de loin l’avancée des travaux du pont Anne-de-Bretagne. Dans quelques semaines, il sera au premier plan. Le pilote de Loire, qui assiste au quotidien des capitaines en guidant les bateaux aux ports, planifie depuis un an et demi, avec les équipes de maîtrise d'ouvrage, l’arrivée de la charpente métallique dans la Cité des ducs de Bretagne. Voyageant en une seule pièce depuis l’Italie, ce tablier aux dimensions extraordinaires suppose une organisation au cordeau. La pose d’une telle structure ne s'improvise pas. Rencontre avec « le chef d'orchestre » de cette manœuvre délicate.
À quoi ressemble le quotidien d’un pilote de Loire ?
Notre travail consiste à guider les navires vers les ports de Saint-Nazaire ou Nantes 24 h sur 24 et 365 jours par an. On assure les manœuvres et les communications avec l’autorité portuaire, les remorqueurs et les lamaneurs, qui aident à amarrer le bateau. Notre rythme de vie est très particulier : 8-9 jours de service pour 5 jours de repos. Pendant notre service, on peut être appelé à n’importe quel moment pour sortir un bateau au large depuis Montoir, Donges ou Nantes. Il ne faut pas être embêté par le travail de nuit, en week-end et jours fériés. D’ailleurs, 60% de nos opérations se déroulent la nuit. Nos familles subissent ce rythme, elles ne savent jamais si on va rentrer pour dîner. Mais elles ont l’habitude, parce que pour être pilote, il faut déjà avoir navigué pendant dix ans.
Quel est le rôle des pilotes dans l’arrivée du tablier du pont Anne-de-Bretagne ?
« Lorsque le convoi va approcher de l’estuaire de la Loire, au niveau de notre station de pilotage au large de l’île de Noirmoutier et la pointe Saint-Gildas, un premier pilote va monter à bord, puis un deuxième. Ils vont prendre le contrôle du pilotage. À partir de là, on coordonne les moyens pour que la barge, les remorqueurs, les vedettes de lamanage, les deux bateaux pousseurs supplémentaires et évidemment toutes les équipes de Sarens en charge de la logistique maritime arrivent au terminal de Cheviré. Une fois accosté, le tablier va rester quelques jours avant qu'on intervienne pour la phase de pose. La remontée du fleuve, c’est une opération plutôt standard. Avec quelques points d'attention particuliers du fait que le pont dépasse de la barge. L'étape de la pose, en revanche, va être plus délicate, parce que le bras de la Madeleine est plus étroit et compte beaucoup d’obstacles : le Maillé-Brézé, le Nantilus, des pontons… »
Justement, pouvez-vous nous détailler la manœuvre de pose ?
« En tout, l’opération devrait prendre une journée et demie. Elle se déroule en quatre phases. D’abord, la barge va s’approcher du pont Anne-de-Bretagne, à marée haute, pour accrocher des câbles d'amarrage. Cette étape est la plus longue, environ 8 heures. La deuxième phase, la plus spectaculaire, c’est la rotation du pont sur la barge pour l’aligner dans le sens dans lequel il va être posé. Ensuite vient la phase la plus sensible : se rapprocher du pont existant à 20-30 cm. Là, moins on a de courant, mieux on se porte. Donc cette phase va se faire évidemment au plus proche de l’étale [moment entre deux marées où le courant est nul, NDLR]. C’est très délicat. La dernière phase consiste à contrôler la descente de la barge avec la marée, jusqu’à la pose finale sur les piles et culées du futur pont. »
Quelles sont les principales contraintes de cette manœuvre ?
« En phase d’approche et de rotation, on tolère un peu de courant. Par contre, on a une contrainte de temps ; le nombre d’heures est évidemment restreint sur chaque marée. Il faut aussi éviter les trop grandes marées, surtout pour la phase d’approche. De même, on ne veut pas qu’il y ait trop de débit dans la Loire, parce que la barge doit pouvoir descendre suffisamment bas pour se poser sur les piles. L’autre contrainte tient aux conditions météo. Les haubans installés pour assurer la rigidité du pont créent une prise au vent très importante. On doit donc éviter les jours venteux. Il y aura une fenêtre de tir à calculer en fonction des conditions de marées, du débit de la Loire, de la pression atmosphérique et des conditions de vent, sachant que le vent a aussi un impact sur le débit du fleuve. »
Pourquoi cette opération est-elle particulière ?
« La particularité, c’est qu'il ne s'agit pas d'un vrai navire. On parle d'une barge avec deux pousseurs, donc deux capitaines, mais aussi un chef d'opération sur la barge et un chef d’opération à terre. Toute la difficulté est de bien coordonner toutes ces personnes pour prendre les bonnes décisions, au bon moment. On a un rôle de chef d’orchestre. D’autant plus que les commandants des pousseurs se trouveront dans une position très basse par rapport au pont. Ils ne verront rien. On servira d’yeux pour aiguiller tout le monde. Pour faciliter cette tâche, j’ai demandé un poste de pilotage spécial, un petit nid-de-pie au milieu du pont au-dessus du tablier. De cette vigie, j’aurai une vue plongeante sur la zone de contact. Je serai seul là-haut. Concentré. »