Pierre Rosanvallon : « Nous avons une démocratie intermittente »

L’un des grands problèmes de la société actuelle est que beaucoup de citoyens ont le sentiment que le monde des décisions est loin d'eux. Dans le monde de l'entreprise, le syndicalisme a été crée pour permettre aux salariés d'intervenir dans la fixation de leurs conditions de travail. Mais dans l'organisation de la vie de la République, je dirais que nous avons une démocratie intermittente, qui est celle des élections. 

Certains voudraient l'accélérer à travers la multiplication des référendums, par exemple. Je crois plutôt qu'il est important de mettre en place une démocratie permanente, dans laquelle les citoyens ont le sentiment de pouvoir parler de ce qu'ils vivent, d'être représentés. La première réponse est bien sûr de désigner celles et ceux qui nous gouvernent. Mais la démocratie doit aussi permettre de nous faire entendre en dehors des élections. C’est fondamental, nous l’avons vu à l’occasion du mouvement des gilets jaunes...

Comment ce forum entend-il justement « réveiller la démocratie » ?

À travers une première demi-journée, il va explorer cette première direction : comment rendre visibles celles et ceux qui sont invisibles ou comment trouver les moyens de prise de parole plus directes. Nous évoquerons également la question de la délibération, c'est-à-dire comment discuter des grands sujets à traiter. Le troisième axe s'articule autour de la question : comment trouver des mots et analyses à partir desquelles nous pouvons véritablement discuter ? Nous avons très souvent un sentiment de cacophonie, l'impression que nous ne parlons pas le même langage, que nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord sur un certain nombre de constats. La démocratie est aussi la capacité à faire société avec nos différences, à dessiner une analyse commune des difficultés que nous avons à surmonter. 

Qu'espérez-vous de cette mise en dialogue entre citoyens, associations, syndicats, artistes et intellectuels ?

L'originalité du forum est d'être organisé à la fois par La République des idées, un lieu de production intellectuelle, et le Pacte du pouvoir de vivre, qui regroupe plus de 60 organisations de la société civile et le Lieu Unique. Cela permet de tisser un lien permanent entre les idées et la vie sociale. Il est également prévu de donner la parole à des vécus ancrés dans les territoires de Nantes et de l'Ouest. Entre les séances, il y aura aussi la possibilité d'échanges plus informels. Le but de ce forum est véritablement de rapprocher la vie intellectuelle du terrain, et de donner au terrain la capacité de mieux formuler les réalités qui sont vécues. 

Que dire aux citoyens qui ont parfois le sentiment de ne pas avoir de « pouvoir d'agir » ?

La capacité d'agir, si vous la prenez en termes très globaux, c'est une fois de temps en temps – tous les six ans dans l'espace municipal, tous les cinq ans pour les députés – l'occasion de prendre la parole, de manifester son soutien, sa colère ou ses difficultés... Une démocratie permanente passe justement par la constitution d'un tissu d'expression et d'expérimentation de nouvelles formes d'organisation ou d'expression... À travers cette démarche exploratoire, nous invitons celles et ceux qui viennent nous voir à envisager la démocratie autrement que par sa vision représentative.