Depuis les années 1950, 70 % des haies ont disparu en France. Pour contrecarrer ce lent déclin, des agriculteurs et agricultrices s’engagent dans la gestion durable de ce patrimoine bocager menacé, mais essentiel pour le climat et la biodiversité. Rencontre avec 4 de ces pionniers, récompensés lors du 1er concours local d’agroforesterie de Nantes Métropole.
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Arbre et agriculture font-ils bon ménage ? « Naturellement !, répond sans hésiter Josselin Guédas, éleveur bovin à l’écoferme des 1001 pattes, à Carquefou. On pourrait passer une journée entière à énumérer tous les micro-changements bénéfiques qui s’opèrent autour des arbres. » Et pourtant, les paysages de nos campagnes ont profondément changé depuis les années 1950. 70 % des kilomètres de haies qui délimitaient les champs pour protéger les animaux et les cultures ont disparu avec les remembrements. « L’agriculture française a visé uniquement la productivité et on a progressivement abandonné l’utilisation des haies et des arbres, car ils étaient perçus comme encombrants pour le travail des champs », déplore l'éleveur.
A contre-courant de ce mouvement, des paysans ont, comme lui, décidé de miser sur l’agroforesterie, en faisant des arbres des alliés sur leur ferme. Avec l’Office français de la biodiversité, l'Afac (association française des arbres champêtres et agroforesterie), le Civam 44 (centre d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural) et la Fédération régionale des chasseurs, Nantes Métropole – à la croisée de ses politiques agricole et de reconquête de la biodiversité - a décidé de mettre en lumière leur travail à travers un concours local d’agroforesterie, en déclinaison du concours national. La première édition a livré ses lauréats le 5 octobre 2024. « Ces agriculteurs sont des précurseurs, souligne Delphine Bonamy, conseillère métropolitaine en charge de l’alimentation, de l’agriculture et des forêts. En les récompensant, nous souhaitons leur donner de la visibilité et envie à d’autres de s’engager dans ces pratiques agroécologiques, bonnes pour la biodiversité, le climat, l’agriculture et pour nous tous. »
Josselin Guédas, écoferme des 1001 pattes, Carquefou
1er prix local
«Un écosystème beaucoup plus favorable que les grands déserts de la Beauce ! »
Des poules et des vaches qui vagabondent au grand air, des ânes, deux chiens et beaucoup d’arbres ! Installé depuis 2017 en agroforesterie sur 55 hectares avec son associée Noémie Heurte, Josselin Guédas a mis en place une exploitation diversifiée, qui s’efforce de préserver l’harmonie avec la nature. « Nous produisons de la viande bovine et des œufs bio, mais aussi des rillettes et des plats préparés issus des volailles, des céréales pour les nourrir et du sarrasin pour faire de la farine », explique Noémie. L’arbre est au coeur du système. « Lorsqu’on a repris la ferme, les haies étaient bien présentes, mais vieillissantes par manque d’entretien. Il a fallu réaliser un gros travail pour gérer cet héritage et planter de nouvelles haies », poursuit Josselin. Pour les aider, les deux jeunes paysans ont répondu à la proposition de Nantes Métropole de leur financer un plan de gestion durable des haies. « Ils ont tout inventorié, puis fait des recommandations pour guider notre travail, comme le type de bois que l’on peut couper sans épuiser l’arbre. Cela permet de prioriser nos chantiers sur 15 ans car l’arbre est un ami qui prend beaucoup de place et de temps ! » Le jeu en vaut la chandelle, assure Josselin : « C’est un bien commun, utile pour l’intérêt général (la biodiversité, l’eau, le climat) mais aussi pour nos fermes. » Les arbres font de l’ombre aux animaux, attirent les prédateurs naturels des ravageurs des cultures, on peut en faire des bûches pour se chauffer, du broyat pour la litière du bétail et des volailles… « Et quand l’herbe s’assèche dans la prairie, leurs branches sont aussi plus nutritives pour les vaches, énumère-t-il. Leurs racines stabilisent le terrain et pompent l’eau, les troncs creux sont de supers abris pour les chauve-souris et les rapaces. Nous avons tous intérêt à développer ces pratiques pour se prémunir des variations du climat. » Pour en tirer le meilleur parti, le jeune éleveur expérimente un modèle agroforestier très abouti sur une parcelle de 4 ha qui était entièrement nue : « En plantant 3 bandes de haies de 40 m, nous avons recréé 4 parcelles où l’on fait tourner les cultures : prairie pendant 2/3 ans, puis sarrasin et chanvre, mélange céréalier, phase de pâturage par les vaches ou les poules, et ainsi de suite. » Selon lui, « c’est l’architecture idéale » : « Il y a plus d’oiseaux, tout un tas de petites bêtes et les arbres poussent 20 à 30 % plus vite sous l’influence des poules qui enrichissent le sol et désherbent leurs pieds. Cet écosystème est beaucoup plus favorable que les grands déserts de la Beauce ! »
Envie de mettre les mains dans la terre ?
Planter des haies prend du temps. Pour aider les agriculteurs et les communes à développer le bocage, Nantes Métropole organise des plantations participatives, avec les communes, les écoles et des associations. Les prochaines auront lieu à la ferme de la Vinaudière à Couëron avec des scolaires, et le long d'un chemin communal de saint-Aignan-de-Grandlieu (samedi 14 décembre). Prenez date !
Martin Joffre, ferme des Faillis Marais, La Chapelle-sur-Erdre
Mention spéciale Initiative maraîchère
« L’agroforesterie c’est bon pour tout ! »
En 2020, quand il a investi les lieux, le site de la Mouline était une prairie entièrement nue. Avec son associé, Martin Joffre a planté près de 300 arbres : aulnes, châtaignier, érables, noisetiers, charmes… « Ils sont encore jeunes et ne remplissent pas encore toutes leurs fonctions, mais c’est un pari sur l’avenir », explique le jeune maraîcher qui produit, sur 2,5 hectares, des légumes et des fruits, 100 % bio, vendus directement à la ferme, en Amap, à la biocoop et aux cantines scolaires voisines. « L’agroforesterie nous permet de mieux résister au réchauffement climatique et d’absorber les phénomènes extrêmes (pluie, gel, vent, sécheresse) de plus en plus fréquents. Les arbres créent des conditions plus favorables aux cultures : ils limitent l’érosion des sols, produisent de la biomasse qui enrichit les sols, ont un effet brise-vent et attirent une quantité d’insectes qui protègent les cultures des ravageurs. » D’ici 3/4 ans, le jeune maraîcher, décoré lors du concours d’une mention spéciale « initiative maraîchère », compte également valoriser le bois de ses haies : « Plutôt que d’acheter du broyat, la taille des branches nous servira à pailler les cultures pour leur apporter de la matière organique et du carbone, afin d’augmenter la fertilité des sols. » Cette relation de symbiose a fait ses preuves sur d’autres fermes, assure Martin Joffre : « Les pathogènes sont moins présents, les rendements meilleurs et les légumes plus gros. On espère aussi réaliser des économies d’eau substantielles. Sur le papier, l’agroforesterie, c’est bon pour tout ! » Installée dans une zone de marais (classée Znieff), riche en biodiversité, la ferme des Faillis Marais n’envisageait pas d’autre modèle. « C’est notre responsabilité de tenir compte de l’écosystème naturel environnant », insiste le jeune maraîcher, membre du réseau Paysans de nature de la LPO, qui met en lien agriculteurs, naturalistes, associations de consommateurs et de protection de la nature.
Jean-Michel Le Guen, micro-ferme des anges, Orvault
Mention spéciale Micro-ferme
« L’arbre à la ferme, c’est le b.a.-ba »
L’agroforesterie ? Jean-Michel Le Guen est tombé dedans « tout naturellement ». « L’arbre est un allié précieux pour les légumes. Il apporte de l’ombre, ses racines aèrent le sol et ses feuilles en tombant créent de la matière organique qui permet d’intensifier la vie biologique. Je ne comprends pas qu’on n'en fasse pas une priorité. L’agriculture traditionnelle reste sur des stéréotypes, déplore cet ancien paysagiste reconverti en « jardinier-maraîcher ». Les néo-paysans ont moins de réticences à expérimenter. » Avec la micro-ferme des anges, lancée en 2018, ce passionné d’agroécologie a mis en place un modèle d’exploitation atypique, sur une très petite surface, avec une approche contre-intuitive du maraîchage, très ombragée par un boisement et de nombreux fruitiers qui apportent un complément de revenus à la production de ses légumes : « Sur 2 500 m² de pleine terre, je cultive 50 à 100 variétés hauts de gamme, que je vends en exclusivité à une vingtaine de restaurants étoilés, à Paris, Nantes et dans le Sud de la France. » Près de 80 arbres maillent la parcelle, sans que cela ne pose le moindre problème. « Au contraire, assure-t-il. Ils attirent les oiseaux et les insectes, ce qui me permet de cultiver sans aucun traitement, et malgré tout zéro maladie. Et après la taille, je broie le bois pour pailler les allées. » Ce modèle « bio-intensif », venu des États-Unis, a déjà fait ses preuves sur sa première ferme en 2012 en Gironde. « Nous avons doublé la rentabilité tout en réduisant de moitié la surface. »
Cécile Perraud & Vincent Barbier, domaine des Trois Toits, Vertou
Mention spéciale Innovation viticole
« C’est résilient est tellement plus beau qu’un paysage nu »
Rien ne prédestinait ce néorural à devenir paysan. « Jusqu’en 2019, j’étais professeur de mathématiques », raconte Vincent Barbier. Cette année là, il reprend avec son associée Cécile Perraud, le domaine viticole des Trois Toits (18 hectares), à Vertou. « Notre premier travail a été de nous atteler à améliorer la qualité du sol et à renforcer la biodiversité dans les vignes, aujourd’hui 100 % en bio. » Pour cela, les deux vignerons sèment du seigle et du trèfle et dédient à l’agroforesterie une parcelle de 2 ha, en friche, où ils plantent une centaine de pommiers, poiriers, ormes et merisiers, deux ans avant l’arrivée des premiers ceps de vigne ! « Les friches posent problème aux cultures adjacentes, explique l’enseignant reconverti. Comme elles ne sont pas entretenues, elles propagent les maladies comme le mildiou. » Son objectif avec ce projet pilote : « produire du raisin dans un système le plus résilient possible », en alternant les arbres et les cépages « pour briser la monoculture et bénéficier de tous les avantages de l’agroforesterie ». « On voulait montrer que ce système innovant est vertueux et viable économiquement. » Quitte à devoir déplacer des montagnes ! « Jusqu’à cette année, il était interdit en AOC de planter des arbres dans les parcelles de vignes, souligne-t-il. Il a fallu se battre, car consacrer 15 % d’une parcelle aux arbres, c’est vu uniquement sous le prisme d’une perte de rendement. » L’ancien professeur est convaincu que le calcul n’est pas aussi évident qu’il n’en a l’air : « Les arbres sont d’abord des alliés au regard de tous les services qu’ils nous rendent. La viticulture est très sensible aux changements climatiques (sécheresse, froid, trop plein d’eau). L’arbre permet d’atténuer tous ces phénomènes et de s’en prémunir. C’est un apport de matière organique, il crée des couloirs de biodiversité pour les oiseaux, les insectes, etc., fixe le carbone et réduit l’érosion des sols... », énumère-t-il. La démarche de Cécile Perraud et Vincent Barbier est aussi paysagère. « C’est tellement plus beau de travailler au milieu des arbres que dans un paysage nu. C’est le bureau idéal ! » Afin de documenter son projet, le domaine des Trois Toits a noué un partenariat avec le lycée agricole de Briacé qui réalise, chaque année, des relevés sur cette parcelle expérimentale. Nombre de vers de terre, d’oiseaux, prélèvements de sol pour voir comment la vigne évolue… Les premiers résultats sont fulgurants, assure le vigneron. « En quelques années, nous avons multiplié par trois le nombre d’espèces vivantes présentes sur le secteur. »
Que fait Nantes Métropole pour protéger les haies bocagères ?
En 2016, la Métropole a recensé sur son territoire plus de 2 400 km de haies, qui ont été intégrées et en partie protégées dans le Plan local d’urbanisme. Une mise à jour de l’inventaire de ce patrimoine bocager par commune doit être engagée à partir de fin 2024. En partenariat avec le Civam44 et la Fédération régionale des chasseurs, la collectivité a impulsé des actions de sensibilisation et de formation des agriculteurs, la mise en place de plans de gestion durable des haies et des aides aux agriculteurs pour planter et restaurer cette trame bocagère sur tout le territoire. « Nous ne pouvons pas nous contenter de planter de nouvelles haies pour compenser les arrachages des décennies passées, il faut avant tout apprendre à gérer durablement et naturellement l’existant », explique Clarisse Paillard, responsable de l’unité développement de la canopée à Nantes Métropole. Dans cette démarche, qui fait écho à son plan-guide "L'arbre et les forêts de demain" et aux engagements de la Charte métropolitaine des arbres, la collectivité accompagne les agriculteurs vers l’obtention d’un « Label haie ». « Cette certification, qui garantit leur gestion durable un peu comme le label bio, permettrait de mieux valoriser le bois issu de la taille de ce bocage, en bois pour la construction, le paillage ou le chauffage», détaille Delphine Bonamy, conseillère métropolitaine en charge de l’alimentation, de l’agriculture et des forêts. La Métropole réfléchit aussi à rémunérer les agriculteurs pour la gestion durable de leurs haies, avec la mise en place d’un « paiement pour services environnementaux ». « Aujourd’hui, ils s’engagent par conviction, pour l’intérêt général. On aimerait que demain, ils tirent aussi un bénéfice direct à entretenir le bocage », souligne l’élue.
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