-28 %, c’est la chute des populations d’oiseaux en ville depuis 1989, selon les données du Muséum d’histoire naturelle. Seules quelques espèces capables de s’adapter connaissent une progression, comme le pigeon ramier ou la mésange bleue. « En 50 ans, un tiers des abondances d’oiseaux (la quantité d’individus pour une même espèce, ndlr) a disparu en Amérique du Nord, confirme Laurent Godet, biogéographe à Nantes Université. Les estimations sont du même ordre concernant les insectes en Allemagne. » La région n’est pas épargnée. « Nous sommes face à une crise d’extinction du vivant qui affecte toute la planète », pointe le chercheur. Paradoxalement, on connaît bien les causes de cet effondrement : la destruction des milieux naturels liées notamment à l’urbanisation, la surexploitation (surpêche, déforestation…), les pollutions, la propagation d’espèces exotiques envahissantes et le changement climatique (source : IPBES). « Le réchauffement généré par les activités humaines est si brutal et rapide que certaines espèces ont du mal à s’adapter. »
« Une chute globale et brutale »
Nantes Métropole a décidé d’agir à son échelle. En 2022, la collectivité a mis en place une politique publique dédiée à la nature. Son « plan de reconquête de la biodiversité », voté en 2023, va bien au-delà des mesures prises depuis vingt ans et qui ont valu à Nantes le titre de Capitale verte de l’Europe en 2013. Articulé autour de trois axes - restaurer les espaces naturels, renaturer les zones urbaines et se reconnecter au vivant -, il mobilise plus de 16 millions d’euros, sans compter les moyens alloués à la restauration des cours d’eau (lire ci-dessous). Pourquoi ce changement de braquet ? « Les politiques traditionnelles de protection, comme le plan de conservation mis en place à Nantes pour sauver l’angélique des estuaires, portent leurs fruits. Mais les progrès sont trop lents, répond Claire Marcadet, responsable du service recherche et biodiversité. Autour de nous, les espèces ne disparaissent pas forcément, mais leurs effectifs chutent drastiquement. La situation est comparable à la peste noire qui a décimé 50 % de la population européenne au Moyen-Âge. »
Située à la croisée de nombreux cours d’eau, avec plusieurs sites emblématiques pour la faune et la flore (lac de Grand-Lieu, île de la Motte, marais Audubon, Prairie de Mauves), la métropole nantaise estime avoir une responsabilité particulière. « Notre territoire est un carrefour pour de nombreuses espèces, souligne Jean-Sébastien Guitton, vice-président à la biodiversité et au cycle de l’eau. Nous devons maintenir et restaurer les continuités écologiques pour qu’elles puissent se déplacer. » La priorité, ce sont les zones humides, réservoirs d’oiseaux migrateurs : « La Loire-Atlantique (2e zone humide de France après la Camargue) est une grosse éponge, indique Romaric Perrocheau, à la tête de la direction Nature et jardins de la Métropole. On a trop longtemps construit où on voulait, les zones humides ont été dégradées, remblayées. En 2019, lors de l’adoption du Plan local d’urbanisme métropolitain, les élus ont pris une mesure forte et sanctuarisé 99 % d’entre elles. » Ce PLUm protège aussi les haies bocagères. « Elles permettent à de nombreuses espèces de se cacher, trouver de la fraîcheur et se déplacer », souligne Romaric Perrocheau. Une haie peut abriter jusqu’à 35 espèces de mammifères, 80 d’oiseaux, 8 de chauves-souris, 15 de reptiles-amphibiens ou 100 espèces d’insectes !
Connaître pour protéger
« La biodiversité est une question centrale qu’on prend désormais en compte tout au long d’un projet d’aménagement, et pas à la fin quand il est souvent trop tard », assure Jean-Sébastien Guitton. Exemples ? À Thouaré, le plan de la Zac des deux ruisseaux a été revu en profondeur pour préserver 21 ha de zones humides, maintenir les haies arborées, les prairies et les boisements. À la Chantrerie, entre Nantes et Carquefou, il n’est plus question d’étendre l’offre de bureaux depuis la découverte d’une trentaine d’espèces protégées. Pour accompagner ses services (urbanisme, espaces publics, bâti, déplacement, etc.) dans ce changement de regard, la Métropole a recruté plusieurs spécialistes, mis en place des formations et diffusé un Atlas de la biodiversité qui répertorie les espaces et espèces sensibles. Elle multiplie également les initiatives pour offrir aux habitants de toutes les générations des occasions de se reconnecter à la nature et elle s’est entourée d’un conseil des partenaires naturalistes, réunissant les principales associations environnementales (LPO pour les oiseaux, Gretia pour les insectes, Conservatoire botanique…) pour l’aiguiller et évaluer ses actions.
La ville, un refuge pour la biodiversité
« On peut se sentir éloigné de ces questions quand on n’a pas la connaissance, note Romaric Perrocheau. Un lampadaire joue un rôle évident pour le confort et la sécurité des usagers, mais qui sait qu’une rue très éclairée constitue un mur infranchissable pour une chauve-souris ? » Sensibilisés et formés, les agents du service éclairage public travaillent par exemple à adapter leur intensité pour préserver une nuit noire dans les zones sensibles. Les bâtiments publics font l’objet d’une même attention. « Quand on rénove, on veille à ne plus boucher les cavités qui peuvent accueillir des nids d’hirondelles ou des chiroptères », indique Claire Marcadet. La Métropole aménage également des passerelles pour les loutres sous les ponts routiers et elle accompagne les agriculteurs pour replanter des haies.
Selon les naturalistes, ces réponses souvent peu coûteuses ont en cascade un effet bénéfique sur tout l’écosystème, même dans les milieux très urbains. « La ville est un lieu d’accueil propice au développement de la biodiversité », assure Romaric Perrocheau. Certains signes ne trompent pas : le héron cendré, en voie de disparition en France dans les années 70, fait un retour remarqué à Nantes. « Peu craintif, il a su s’adapter. Dès que les grilles se ferment le soir, il vient se poser sur le grand bassin du Jardin des plantes, sans doute pour pêcher, ou sur le canal Saint-Félix », observe le directeur du service Nature et jardins. Plus étonnant encore : la présence d’un faucon pèlerin dans le clocher de l’église Saint-Clément et sur la grue grise, ou encore d’un tichodrome échelette dans l’une des tours du château des ducs. « L’apparition de ce petit oiseau au plumage violet, familier des falaises des Pyrénées, a provoqué pendant quelques jours un attroupement d’ornithologues devant le monument », sourit Romaric Perrocheau.
Les rivières, réservoirs de biodiversité, sont dégradées. Que faire ?
« Sur la partie avale du bassin versant de la Loire, moins d’1 % des rivières sont en bon état écologique au regard des critères européens, explique Jean-Sébastien Guitton, vice-président de Nantes Métropole chargé de la biodiversité et du cycle de l’eau. Nous avons engagé un programme de 52 M€ sur 10 ans, co-financé par l’Agence de l’eau, la Région et le Département, pour restaurer leur qualité. La canalisation des cours d’eau et la création de retenues ont eu des effets désastreux pour la circulation des poissons et des mammifères semi-aquatiques. On essaye de leur redonner une morphologie naturelle, avec une alternance de profondeurs qui permet à la fois d’épurer l’eau de certains polluants et de créer des lieux refuges pour la faune en période de sécheresse. On stimule aussi la végétation (la ripisylve) et on travaille avec les agriculteurs pour planter des haies et réduire les pesticides qui ruissellent dans les rivières. C’est un travail de longue haleine. On espère voir les résultats d’ici 3-4 ans sur le Cens et le Gesvres. Sur d’autres rivières très artificialisées, on part de situations tellement dégradées qu’il faudra 10 ou 15 ans pour que cela s’améliore. »
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